La poignée dans le coin de Patrick Raynal
13 déc. 2010Série grise
de 70 à 87 ans
Éditions Baleine-Le Seuil 2001
Lu dans le cadre de ma recherche pour les lectures en Maison de retraite. Donc à ce titre totalement inexploitable: le vocabulaire porno affleure à toutes les pages et si on passe un bon moment, l'histoire est bien ficelée, l'héroïne vicelarde et le contexte vraisemblable, on en restera là...
James Durham, 70 printemps a un grave accident de moto, du côté d'Antibes. A son réveil, un toubib juif, le docteur Blumenkrantz, essaie de rassurer le dur à cuire en lui expliquant par le menu qu'on prenait soin de lui, ici. La preuve en est: il a fait afficher les couleurs du Biker au pied de son lit. Mais l'obsession de James c'est son retour sur L.A dans dix jours. "Durham aurait bien effacé à coups de botte le sourire du petit juif mais il n'avait plus de botte."... [Il] "comprit enfin qu'il était salement dans la merde, très loin de son territoire et qu'il allait falloir qu'il compose." "Que fait un Hell's Angel américain... dans un pays étranger dont il maîtrise parfaitement la langue?". S'ensuivent la biographie détaillée, faits d'armes pendant la seconde guerre mondiale, aux commandes de son zinc, "Putains de bouffeurs de choucroute! il leur en avait fait voir et, même s'il comptait maintenant plus de nazis que de juifs dans ses potes, il regrettait sacrément de ne plus y être..."
La notoriété de James s'est vite répandue dans l'hôpital public et il reçoit des visites de curiosité. Antoine un jeune en fauteuil roulant sans espoir d'en sortir, lui fournit de la gnôle et lui propose de le mettre en contact avec son avocat pour faire avancer son procès et regagner plus vite Oakland USA. "Et il se mit à parler, à raconter sa vie comme si l'alcool et l'écoute attentive d'Antoine avaient ouvert une vanne... de l'escadrille... à la guerre avec les autres gangs pour la suprématie sur le trafic du speed et de la méth', tout y passa."Vague souvenir d'un pénitencier et de cinq ans purgés au Nouveau-Mexique. Le portrait est noir, noir: violences, racisme, antisémitisme et j'en oublie certainement.
Le second personnage du roman et non des moindres c'est Carlotta, 87 ans. Elle alterne dans la seconde les rôles de sainte et de diablesse. Au début elle agit comme un repoussoir sur James mais vite comme un aimant. Elle dit être riche et le biker doit obtenir de l'argent, et vite. Il va se prostituer et devenir l'esclave de son désir. Lui qui avait passé sa vie à tyranniser ses semblables se retrouve l'objet d'une vieillotte qui le manipule!
Le troisième personnage-clé c'est Rosie, infirmière; elle aide James à monter au septième ciel et sert d'entremetteuse entre Carlotta qui la déteste et le vieux biker.
"Elle [Carlotta] baissa la voix jusqu'au murmure pour continuer:
-C'est la revanche des juifs et des nègres... C'est eux qui tiennent tout ici... C'est bien pour ça qu'on doit s'aider. ...
-Ah, c'est ma petite Rosie qui vient me chercher!... C'est un ange, vous savez, un ange du bon Dieu... Pauvres Noirs... Pourtant, avec tout ce qu'on leur a fait subir..."
Mais Rosie n'est pas dupe et connaît la duplicité de Carlotta, qu'elle fait profiter de ses expériences avec James.
Le dénouement est à la fois attendu et étonnant. Bref c'est une réussite, un bon roman noir, une grosse heure de lecture, pas de longueur, de surcharge, ça change de ces auteurs qui délayent pour faire de la page.
A lire, moment récréatif garanti.